22 Oct « À Nouméa, ce 14 mai 2024, nous nous sommes organisés pour sauver les patients »
« À Nouméa, ce 14 mai, nous nous sommes organisés pour sauver les patients. » À peine l’Atir a-t-elle eu connaissance de l’ampleur des émeutes, barrages routiers et incendies embrasant le grand Nouméa, le 13 mai, qu’elle s’est mobilisée pour assurer la continuité de la prise en charge des patients. Nicolas Darsaut, directeur général, revient sur la crise et ses enseignements.
« Tout le monde s’est serré les coudes. Nous avons fait preuve d’une cohésion et d’une réactivité exceptionnelles, durant ces longues semaines de mai, juin et juillet. Pourtant, il fallait agir au jour le jour, au gré des péripéties, sans voir la fin des troubles », exprime Nicolas Darsaut, en cette matinée de fin juillet où la situation semble se calmer progressivement dans le grand Nouméa.
Agir au jour le jour, mais dans quel objectif ? « Ce 14 mai 2024, nous nous sommes organisés pour sauver les patients, poursuit le directeur. Les sauver tout en gardant nos équipes opérationnelles fédérées autour de nos objectifs, prêtes à intervenir partout où nous en avions besoin. Parfois même dans des tâches inhabituelles, mais nécessaires. Conformément à nos procédures, nous avons constitué une cellule de crise. Jusqu’à mi-juin, elle s’est réunie jusqu’à deux fois par jour, y compris le week-end, en visioconférence, pour décider comment adapter l’activité et dialyser au maximum. Nous l’avons réactivée le 24 juin, quand la situation s’est à nouveau tendue. Elle travaillait en étroite concertation avec les autorités sanitaires et nos partenaires public et privé. »
L’information des collaborateurs en continu
Les communiqués quotidiens de la cellule de crise, publiés sur le cloud de l’association, informaient ses collaborateurs des faits marquants liés aux émeutes et des tâches à accomplir. « Tous les métiers, toutes les unités, ont reçu, quotidiennement, leur feuille de route », relate Karine Denis, directrice des ressources humaines. Elle-même s’est occupée d’appeler, avec Catherine Jannet, responsable de la santé et de la qualité des relations au travail, les salariés bloqués chez eux pour s’enquérir de leur état. « Nous avons répondu à une énorme quantité de mails et priorisé les démarches liées au paiement des salaires en fin de mois. Il fallait rassurer nos employés dans cette période d’incertitude. »
Et parce qu’on ne sort pas psychologiquement indemne d’une confrontation à la peur et aux violences urbaines, Catherine Jannet était à l’écoute des salariés. En particulier, ceux résidant dans les quartiers nord de Nouméa, dévastés.
L’information des patients au cœur de l’action
Cependant, c’est surtout la sauvegarde des patients qui a concentré les énergies, alors que les unités de l’Atir du grand Nouméa étaient fermées. « Dès le 14 mai, nos médecins et cadres de soins ont dénombré ceux en situation d’urgence pour les envoyer en dialyse à l’hôpital public (le CHT) et chez notre partenaire privé, l’U2nc. En effet, ses unités de Nouméa, Médisud et la clinique Kuindo-Magnin (CKM) restaient accessibles aux patients et ambulances, enchaine Nicolas Darsaut. Et là, quelque chose de formidable s’est produit : sous la conduite de nos cadres de soins, des IDE ont constitué une cellule d’appel dédiée aux dialysés.
Inlassablement, pendant des heures, ils ont appelé les patients – certains contraints de vivre sans dialyse plusieurs jours de suite. La cellule d’appel vérifiait leur santé, les rassurait sur leur prise en charge et les informait des changements de planning. Nos infirmiers leur ont délivré des conseils d’hygiène alimentaire. Nous avons ainsi évité beaucoup de panique. »
Des mesures d’urgence pour dialyser au maximum
Du 14 au 16 mai, les quatre unités Atir du grand Nouméa étaient fermées. Elles ont rouvert progressivement dans le courant du mois, sauf celle de Kaméré. Comment l’Atir a-t-elle dialysé ses patients dans l’intervalle ? « Nous avons décidé de réduire les temps de dialyse à deux heures tous les trois jours. »
Cette réduction du temps de dialyse a également diminué le risque de pénurie de médicaments, de matériel de dialyse et d’essence. En effet, la pharmacie à usage interne (PUI) de l’Atir, située en zone bloquée lors des émeutes, ne pouvait, les premiers jours, livrer aucune commande aux unités de dialyse. « Nous craignions de manquer de soluté de dialyse péritonéale, d’érythropoïétine (EPO)… Nous avons donc demandé aux unités de surveiller méthodiquement leurs stocks, de diminuer les débits de dialysat, d’optimiser l’usage des consommables et de l’EPO. Les unités de brousse et des îles sont passées à deux séances par semaine par patient pour économiser le matériel et prolonger ainsi notre capacité de dialyse. »
Ce n’est qu’après deux semaines d’émeutes que l’Atir a approvisionné ses unités de brousse par bateau et envisagé les premiers convois routiers de marchandises. « Notre équipe de l’unité de dialyse à domicile s’est, par ailleurs, démenée pour livrer les patients en dialyse péritonéale chez eux », ajoute Nicolas Darsaut.
L’Atir capitalise sur la gestion de crise
Brièvement, le 24 juin, de nouvelles émeutes ont ébranlé le grand Nouméa. « Nous avons eu un moment de découragement, souligne le directeur général, mais nous avons aussitôt remis en place le fonctionnement d’urgence expérimenté en mai. L’U2nc a dialysé nos patients l’après-midi. » Depuis début juillet, l’Atir a rouvert ses unités de Nouméa. La situation est alors revenue à la normale dans une ville à reconstruire.
« Nous pouvons être fiers de la manière dont nous avons géré cette crise, déclare le directeur général. Nous avons surmonté notre peur pour nous retrousser les manches et soigner nos patients. » A cet égard, les chiffres révèlent moins de décès du 13 mai au 30 juin que sur la même période en 2023. Donc, grâce aux efforts des équipes, aux informations transmises aux patients, ils ont fait plus attention à eux.
« Je remercie vivement les médecins, les soignants, remarquables, qui se sont engagés pour que nous gardions la tête hors de l’eau, et les collaborateurs qui les ont secondés – les techniciens, qui ont réparé le matériel et les bâtiments coûte que coûte ; la logistique qui a bravé les barrages pour livrer partout ; le service informatique, qui a géré en télétravail l’aiguillage des patients ; les assistants médicaux qui ont assuré un cellule d’appel et relayé les informations ; les services administratifs, qui ont assuré les salaires et la comptabilité à distance ; la direction des soins, qui a veillé aux rotations de personnel et à l’acheminement par ambulance. Merci à nos partenaires, l’U2nc, le CHT, aux ambulanciers, pour leur coopération ! Nous tirons indéniablement de cette crise des compétences nouvelles. »
Tous engagés dans un quotidien bouleversé
Aux collaborateurs évoqués dans l’article ci-dessus, il faut ajouter ceux de la pharmacie à usage interne (PUI), les agents de service, des ambulanciers et des sous-traitants qui ont aidé l’Atir à assurer la continuité des soins pendant la crise.
Ainsi, rappelons que certains de nos magasiniers et chauffeurs-livreurs ont accepté de retourner, à compter du 20 mai, à la PUI, isolée dans une zone de non-droit, pour y préparer des palettes de matériel destinées aux unités de dialyse. Courageusement, ils ont montré patte blanche pour franchir les barrages et effectuer des tournées de livraison en ambulance. Rappelons qu’Audrey, notre pharmacien, et Valérie, du service Achats, privées des bons de commande habituels des unités, ont, à distance, estimé leurs besoins, en se fondant sur le nombre de dialyses réalisées au jour le jour, pour permettre aux livreurs de les approvisionner en produits essentiels.
Rappelons que plusieurs employés se sont rendus utiles près de leur domicile, comme James, magasinier, qui a aidé à nettoyer notre site de Dumbéa sur Mer. Tous ont effectué des tâches inaccoutumées avec bonne volonté, en s’appuyant sur les ressources disponibles. Remercions-les vivement.
Des répercussions jusqu’en brousse, aux îles et à Wallis
Des informations alarmantes sur les ondes, l’inquiétude pour les collègues de Nouméa, aucune visite de médecins ni de techniciens pendant plusieurs semaines, des stocks de matériel, médicaments et carburant en baisse… Les salariés Atir des UHP de Koumac, Poindimié, Thio, Maré, Lifou, Ouvéa et Wallis n’ont pas vécu les peurs de ceux du grand Nouméa, mais ils ont dû faire face à l’incertitude du lendemain, dès le 13 mai. Ceux de Thio auront d’ailleurs dû se résigner à la fermeture de l’unité pour cause d’insécurité, fin juillet.
Stoïquement, nos collaborateurs de brousse et des Loyauté ont, eux aussi, réduit le nombre de séances de dialyse hebdomadaires pour prendre en charge les patients sans discontinuité jusqu’en juin. Ils ont veillé à économiser les solutés, en attendant leur ravitaillement. Bravo et merci pour l’autonomie dont ils ont fait preuve !