05 Nov Et l’Atir appela, appela les patients pour les dialyser coûte que coûte
Comment dialyser les patients lorsque la force majeure rend la plupart des unités médicales inaccessibles ? L’Atir a résolu cette question, en mai, en confiant l’organisation de ses séances à une cellule d’appel. Principalement constituée de cadres de soins et d’infirmiers (IDE), cette cellule a permis d’hémodialyser coûte que coûte. Saluons leur action.
Le 14 mai 2024, à 7h du matin, la cellule de crise de l’Atir se réunit en visioconférence. L’association fait ex-filtrer par des ambulanciers l’équipe de soignants de nuit en poste dans son unité de dialyse médicalisée (UDM) de Dumbéa sur Mer, quartier où les émeutes sévissent. Elle décide aussitôt la fermeture de ses unités du grand Nouméa. Le ton est donné : l’Atir ne peut plus dialyser dans l’agglomération de la capitale calédonienne.
Or, les patients ne survivront pas sans dialyse. Dès lors, les cadres de soins s’emparent du casse-tête. « Nous avons organisé l’accueil des patients dans les structures alors opérationnelles. C’est-à-dire à l’hôpital public – le Médipôle – et dans les unités de notre partenaire privé, l’U2nc – à la clinique Kuindo-Magnin (CKM), Médisud, La Foa et Bourail », explique Marjorie Renault, cadre de soins arrivée quelques semaines plus tôt à l’Atir. « Pour y parvenir, nous avons constitué une cellule d’appel. Elle était chargée de rester en lien permanent avec nos partenaires et de téléphoner à tous les patients, jour et nuit. Nous l’avons animée jusqu’à la réouverture de Dumbéa sur Mer, fin mai, quand les tensions urbaines ont commencé à s’apaiser. »
Infirmiers et cadres de soins volontaires sur le pont
Rapidement, devant l’ampleur du travail à fournir, le directeur général de l’Atir, Nicolas Darsaut, propose de solliciter des IDE pour renforcer la cellule d’appel. Avec Marjorie à sa tête, la cellule compte des référents infirmiers, des IDE et les infirmières coordinatrices. Les médecins de l’Atir y participent aussi, pour la renforcer et orienter les urgences.
Des séances de dialyse planifiées au jour le jour
Chaque jour, la cellule d’appel reçoit, le matin, des instructions de la cellule de crise que la direction de l’Atir anime. Elle prend des nouvelles des patients, leur donne des consignes médicales – notamment, s’adresser aux urgences si nécessaire. Elle délivre aussi des conseils diététiques pour pallier le manque de dialyse.
Surtout, elle planifie leurs séances dans les établissements accessibles, en fonction de la situation quotidienne dans le grand Nouméa. « Nous avons créé des groupes de travail avec des référents par unité, relate Marjorie. Via un chat spécifique, en visio, nous échangions. Nous avons d’abord dialysé tous les trois jours, puis tous les deux jours quand l’Atir a rouvert progressivement ses unités. Parfois, nous devions repenser toute l’organisation avec effet immédiat car les violences obligeaient à fermer les unités de dialyse. Le service informatique nous a aidés à élaborer un tableau de suivi des séances des patients, partagé avec l’hôpital, l’U2nc et intégrable dans le dossier médical numérisé des patients. »
Un grand élan de solidarité au bénéfice des patients
Marjorie est impressionnée par l’élan de solidarité qui a permis de gérer la crise. « Direction, médecins, IDE, cadres de soins…, nous avons agi main dans la main, sur la base du volontariat, dans la cellule d’appel et sur le terrain. Tous très efficacement, en allouant un temps incalculable aux patients, dont nous avons essayé de limiter la mortalité. La cellule d’appel a dévoilé nos compétences, nos métiers respectifs, et créé du lien entre nous. Pour moi, c’était une période d’intégration éprouvante, mais exceptionnelle pour connaître rapidement l’Atir et ses équipes remarquables. »
Quant aux patients, Marjorie les a sentis inquiets. « Cependant, ils étaient très compréhensifs, même si certains semblaient ne pas comprendre la gravité de la situation, si d’autres ne voulaient plus qu’on les appelle… ». Aujourd’hui, les membres de la cellule d’appel ont rejoint leurs unités. Marjorie, installée à Dumbéa sur Mer dans les locaux remis à neuf, est satisfaite de se trouver entre près des salles de dialyse. « C’est très bien pour côtoyer les patients. » Non, les émeutes ne l’ont pas fait changer d’avis : elle veut travailler en Nouvelle-Calédonie et découvrir ce pays magnifique.
En pleine tourmente, Marjorie rejoint l’Atir pour encadrer les soins
Elle a rejoint l’Atir comme cadre des soins le 25 mars, peu après son atterrissage en Nouvelle-Calédonie. « Nous voulions nous y installer en famille car mon conjoint y a vécu il y a près de vingt ans, et voulait revenir », raconte Marjorie Renault. Les émeutes 2024, vécues dès sa prise de poste en mai, n’ont pas changé son envie de découvrir ce pays rêvé, en y travaillant au service des patients insuffisants rénaux chroniques.
Marjorie Renault venait d’achever sa formation à la dialyse, que l’Atir propose à ses nouvelles recrues, fin avril. Elle était donc en poste depuis quinze jours quand les émeutes ont éclaté dans le grand Nouméa, pour des raisons politiques et sociales. Qu’à cela ne tienne ! Marjorie a pris, fin mai, la conduite de la cellule d’appel chargée d’organiser au mieux les séances d’hémodialyse dans les unités rescapées.
Son sang-froid, son expérience du soin, elle les aiguise depuis l’obtention à Paris de son diplôme d’État d’infirmière, en 2003, suivi de diplômes universitaires dans l’accompagnement de la douleur. « J’ai exercé dans des services d’urgence et de soins palliatifs, ainsi qu’en Ehpad, comme IDE puis comme cadre, en région parisienne, en Normandie et près de Nice, dans le groupe Le Noble âge. En tant que cadre opérationnelle, je suis intervenue en renfort dans des établissements confrontés à des problèmes. Notamment, des mouvements sociaux lourds, des problèmes de maltraitance des personnes accueillies, lors de rachats et d’ouvertures de structures. J’ai aussi l’expérience des soins à domicile. Et pendant le Covid, j’étais en poste à Toulon, dans un Ehpad de 85 lits, où l’on travaillait 24h/24h. »
À l’Atir, Marjorie a l’espoir de développer la relation avec les dialysés du Pacifique sud. « Ils sont souvent passifs, cachés sous leur couverture ou captivés par la télé. Comment me présenter, entrer en contact avec eux, les amener à s’animer ? J’ai beaucoup à apprendre pour ne pas faire d’erreur dans la communication avec les patients calédoniens, dont la culture est différente de la mienne. » L’infirmière, devenue cadre de soins, s’attend à une expérience professionnelle inédite, dans un pays déterminé à se reconstruire, et s’en réjouit.